Analyse marchéAnalyse de l'empreinte carbone du stockage par batterie : une batterie, c'est bon pour le climat ? Notre analyse montre qu'en France, une batterie LFP compense les émissions liées à sa fabrication en moins d'un an. Sur sa durée de vie, l'impact carbone est fortement bénéfique. La raison : la batterie se charge lorsque l'énergie est abondante et décarbonnée, pour restituer cette énergie lors des pics de consommation durant lesquels le réseau fait encore appel au gaz ou au fioul.2025-11-18Jean-Yves Stephan

💡 En résumé

En France, une batterie LFP rembourse sa dette carbone en moins d’un an.

C’est le temps qu’il lui faut pour compenser, grâce à son fonctionnement, les émissions liées à sa fabrication. Et au-delà de ce point d’équilibre, tout nouveau cycle devient un gain net pour le climat, pendant toute la durée de vie de la batterie (15-20 ans).

Même dans un système électrique majoritairement décarboné, comme celui de la France, les batteries jouent donc un rôle crucial : elles absorbent l’électricité propre (nucléaire, éolien, solaire) quand elle est abondante et la restitue lors des pics de consommation durant lesquels le réseau fait encore appel au gaz ou au fioul.

🎯 L’objectif de l’analyse

L’objectif de cette étude est de répondre à une question simple : Le bilan carbone d’une batterie installée sur le réseau français est-il réellement positif ?

Pour y répondre, nous avons comparé :

  • d’un côté, les émissions liées à la fabrication de la batterie (le “coût carbone initial”) ;

  • de l’autre, les émissions évitées pendant son fonctionnement grâce au décalage de la production électrique entre périodes de prix bas (électricité décarbonée) et de prix hauts (appel à des moyens fossiles).

Le ratio entre ces deux valeurs donne le temps de “remboursement carbone”, aussi appelé CO₂ payback time.

Et ce temps est court : environ 7 mois.

🔍 Notre méthodologie en quatre étapes

1️⃣ Simulation du fonctionnement d’une batterie type

Nous avons simulé le fonctionnement d’une batterie de 1 MWh de capacité énergétique et 500 kW de puissance (ce qui lui permet de se charger ou de décharger intégralement en 2 heures), opérant sur le marché spot français entre octobre 2024 et septembre 2025.

  • Efficacité de la batterie : 86 % - c’est-à-dire 14% de perte d’énergie pour un cycle complet charge-décharge.

  • Stratégie : la batterie se charge quand les prix sont bas et se décharge quand les prix sont hauts de manière à optimiser les revenus/économies générés.

  • Interprétation : les périodes de prix bas correspondent souvent à un mix décarboné (nucléaire, renouvelables), tandis que les périodes de prix élevés coïncident avec des appels aux centrales fossiles.

Sur l’année, cela représente environ 1,4 cycle complet par jour, soit un fonctionnement typique pour une batterie réalisant ce type d’arbitrage en respectant les conditions contractuelles de la garantie de la batterie.

2️⃣ Identifier la production électrique marginale au sein du mix électrique

L’analyse repose sur la logique de marginalité électrique :

si la consommation varie de 1 MWh à un instant donné, quelle centrale ajuste sa production ?

Le mix électrique français est en moyenne très propre grâce au nucléaire et aux renouvelables.

Mais lorsqu’il faut répondre à des pointes de demande ou compenser une faible production, ce sont les centrales à gaz et à fioul qui prennent le relais.

Nous avons considéré que :

  • le fioul est “marginal” lorsque sa production dépasse ~75 MW, avec un facteur d’émission de 928 kgCO₂/MWh ;

  • le gaz naturel est “marginal” lorsque sa production dépasse environ 1 GW en saison basse (début avril à fin octobre) et 2 GW en saison haute, avec un facteur d’émission moyen de 389 kgCO₂/MWh (CCGT, centrales à gaz les plus performantes) ;

  • le reste du temps la marginalité est moins claire et le facteur d’émission considéré dans l’étude correspond au facteur d’émission moyen du parc : 13 kgCO₂/MWh ****en saison baisse et 30 kgCO₂/MWh ****en saison haute (source : éco2mix).

Le graphique ci-dessus illustre le choix des seuils de 1 / 2 GW pour le gaz et 75 MW pour le fioul, à partir desquels on considère que ces énergies sont marginales dans le système électrique.

Ces valeurs sont issues du Bilan électrique 2024 de RTE, et reflètent la réalité du système français : la majorité du temps, le mix est propre, mais les appels aux moyens de production fossiles existent encore, notamment en hiver ou en fin de journée en saison basse.

Le graphe ci-dessous présente les facteurs d’émission marginaux considérés dans l’étude : 4600h au “mix moyen”, 2900h en “marginalité gaz” & 1300h en “marginalité fioul”

3️⃣ Calculer l’impact carbone des cycles

En croisant la simulation des charges/décharges de la batterie avec le niveau d’émission marginal du système électrique, on évalue l’impact carbone net sur un an :

  • En été, la batterie se charge le plus souvent à partir d’énergie décarbonnée, et elle se décharge lorsque le gaz devient marginal.

  • En hiver, elle se charge parfois à partir d’électricité décarbonnée, parfois à partir du gaz, mais se décharge alors sur des moments encore plus carbonés (fioul).

Le tableau ci-dessous montre que les prix spot sont plus élevés lorsque l’unité de production marginale est le gaz ou le fioul, et que la décharge de la batterie a principalement lieu lorsque le fioul et le gaz sont marginaux dans le mix électrique.

Autrement dit : la batterie déplace la consommation d’électricité d’un moment où le mix est propre vers un moment où il est plus sale — et c’est précisément ce décalage temporel qui crée le bénéfice climatique.

Résultat global : une batterie de 1 MWh évite environ 110 tonnes de CO₂ par an dans le système électrique français actuel.

4️⃣ Prendre en compte la fabrication

La production d’une batterie LFP de 1 MWh comme celle modélisée ici génère environ 65 tonnes de CO₂ (Source : PNAS (2023) — Environmental impact of Li-ion battery production).

Cela correspond à la “dette carbone” initiale de la batterie : le point de départ qu’il faut compenser. En comparant ces 65 tonnes émises à la fabrication aux ~110 tonnes évitées chaque année, on obtient un temps de retour carbone de ~7 mois.

A partir de 7 mois d’activité, la batterie a compensé les émissions causées par sa fabricant, et son impact total devient bénéfique pour le climat. Si cette analyse restait valable pendant les 15 années d’exploitation de la batterie, on obtiendrait 110 * 15 - 65 = 1585 tonnes de CO2 d’émissions évitées.

⚠️ Limites et incertitudes

Notre analyse repose sur plusieurs hypothèses simplificatrices :

  • La centrale de production d’électricité marginale est difficile à identifier, et le facteur d’émission marginal est donc impossible à calculer précisément

  • En particulier, l’impact marginal des centrales à gaz varie fortement en fonction du rendement des centrales contrairement au facteur d’émission d’une CCGT “performante” utilisé ici. Les centrales les moins performantes sont les plus chères à activer et aussi les plus émettrices par MWh produit.

  • Les batteries ont plusieurs usages (services système, peak shaving, marché de capacité, intraday), le profil d’utilisation réel est donc différent de la modélisation par jumeau numérique réalisée ici.

  • Le facteur d’émission de la fabrication d’une batterie évolue vite et varie selon les fabricants

Ces incertitudes ne sauraient toutefois changer la conclusion globale : le bénéfice carbone reste atteint en 1 an, même avec des hypothèses prudentes.

🔋 En conclusion

  • Une batterie LFP utilisée en France, rembourse sa dette carbone liée à sa fabrication en 7 mois environ. Après cette période, chaque cycle représente un gain net en CO₂

  • Même dans un système électrique largement décarboné, les batteries jouent un rôle central : elles valorisent les excédents d’énergie propre, limitent les pointes fossiles, et accélèrent la transition énergétique en rendant le système électrique plus efficace.

En plus de cette analyse au niveau national, les batteries installées en aval du compteur sur des sites industriels ont souvent un rôle bénéfique à l’échelle du site :

  • Lorsqu’elles ont un rôle de secours, les batteries peuvent remplacer des groupes électrogènes.

  • Le stockage par batterie peut être couplée à d’autres initiatives, par exemple en stimulant l’autoconsommation issue de production d’électricité sur site (solaire, cogénération), ou en couplant le stockage par batterie à de la production de chaleur décarbonnée (chaudières électrique ou chaudières hybrides gaz/électrique).

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