Analyse marchéLe stockage par batterie, un outil essentiel pour contenir la volatilité des prix de marchéLes systèmes de stockage par batteries connaissent une forte croissance pour lisser la production d'électricité intermittente. Mais cette popularité grandissante pourrait-elle paradoxalement menacer leur rentabilité en réduisant les écarts de prix ("spreads") sur les marchés spot ? Le contexte énergétique futur suggère plutôt l'inverse. Décryptage !2025-04-24Théo Demey

L'équilibre offre-demande, moteur de la volatilité des prix

La volatilité des prix de l'électricité sur les marchés spot dépend directement de l'équilibre entre l'offre et la demande. Le prix est fixé heure par heure par l'intersection des courbes agrégées de l'offre (en gris ci-dessous) et de la demande (en orange ci-dessous).

La demande (en orange) est décroissante : elle est d’autant plus importante en volume (abscisses) que les prix sont bas (ordonnées). C’est l’inverse pour l’offre (en gris).

Quand l’offre dépasse largement la demande en journée, les prix chutent ; inversement, lorsque l’offre devient insuffisante (le soir notamment), les prix augmentent fortement.

Nous vous proposons d’analyser les données disponibles pour anticiper comment les prix de l’électricité sont amenés à évoluer, en période de prix bas (après-midi, milieu de la nuit), puis en période de prix haut (matin et soir).

Illustration de l’évolution des équilibres offre-demande en période de prix bas et haut, avec des données du scénario D mis en consultation en mars pour le bilan prévisionnel 2025.

En période de prix bas : l’évolution de la demande ne permettra pas de contrer la dynamique enclenchée par le développement massif du solaire

Les producteurs sont incités à offrir leur production à leur coût marginal, soit proche de 0€/MWh pour le photovoltaïque : le soleil étant gratuit, produire une unité supplémentaire d’électricité ne coûte presque rien.

La situation actuelle conduit à un excédent d’offre lorsque le soleil brille, avec une courbe de demande qui croise la courbe d’offre à 0€/MWh, comme illustré ci-dessous pour une journée typique d’avril 2025 à 14h.

Les trajectoires d’évolution du mix électrique français, mis en consultation début mars 2025 par RTE pour le prochain bilan prévisionnel, envisagent une croissance du parc photovoltaïque de 4 à 5 GWc par an. Autrement dit, toutes choses égales par ailleurs, on peut s’attendre à ce que la courbe agrégée d’offre augmente dans ces proportions pour les heures de forte production solaire, accentuant encore le nombre de créneaux horaires avec des prix proches de 0€/MWh !

Le scénario le plus conservateur de RTE (scénario D ci-dessous) sur l’évolution de la demande envisage une croissance limitée de la demande (+~1 GW/an, ce qui correspond à +2%/an), prenant en compte une électrification réelle, mais à un rythme plus modéré par rapport aux ambitions initialement affichées. Ce scénario est considéré par de nombreux acteurs économiques comme le scénario le plus réaliste, même si la France a beaucoup à gagner (autonomie énergétique, impact environnemental, …) à électrifier de manière plus rapide.

Consultation publique “Bilan prévisionnel – édition 2025” : cadrage et hypothèses de l’étude, RTE, mars 2025

Une partie de cette nouvelle demande se fera en “baseload” (e.g. data centers), une autre devrait privilégier les créneaux à bas prix (consommation flexible comme la recharge de véhicules électriques ou la production d’hydrogène).

Une partie de la demande existante (comme les chauffe-eau qui représentent une petite dizaine de GW de consommation) va être réorientée vers les créneaux à prix bas grâce au repositionnement des heures creuses en milieu de journée. Cette évolution concernera la saison estivale (d’avril à octobre), et les changements d’heures creuses seront progressivement réalisés en 2026 et 2027.

Quel sera l’impact de ce changement :

  • La hausse de la demande en après-midi devrait en théorie aider à absorber le pic de production solaire, mais elle reste insuffisante face à la dynamique de développement du parc PV (+4 GWc/an). Les prix proches de 0€/MWh en milieu de journée vont continuer de se généraliser.

  • La baisse de la consommation la nuit (chauffe-eaux déplacés en journée) devrait favoriser les prix bas en milieu de nuit. On aurait alors 2 périodes de prix bas chaque jour (la nuit et l’après-midi) ce qui permet au stockage de faire 2 cycles charge/décharge rentables par jour (charger la nuit, décharger lors du pic de prix du matin, charger l’après-midi, décharger lors du pic de prix du soir).

En conclusion, même s’il est difficile de faire des prédictions à long terme, on peut formuler la conjecture que les prix proches de 0€/MWh seront monnaie courante, une fois voire deux fois par jour, une grande partie de l’année, sur les 5-10 prochaines années, du fait des grandes tendances en cours et de leur impact sur l’équilibre offre/demande.

En période de prix hauts : la hausse de la demande combinée aux pertes d’opportunités induites par la modulation de la production devrait a minima maintenir les prix à leurs niveaux actuels

Les épisodes de prix haut ont lieu lorsque la demande est importante et que l’offre à bas coût est insuffisante, principalement le matin et en début de soirée.

En période de prix haut, le nouvel équilibre est plus incertain, mais une hausse de la demande conduirait, sans nouvelle offre disponible sur ces créneaux (par exemple, éolien ou stockage par batteries), à une hausse significative des prix.

La disponibilité de l’offre sur ces créneaux peut par ailleurs être interrogée au regard des contraintes de modulation de la production pilotable (centrales nucléaires, gaz) induite par le développement du photovoltaïque. Le graphique ci-dessous illustre la modulation en puissance du parc nucléaire sur la première moitié du mois d’avril 2025.

La multiplication des épisodes de prix bas au printemps, période privilégiée pour la production solaire, pourrait inciter EDF à concentrer davantage d’opérations de maintenance sur cette période, réduisant ainsi l’offre disponible en période de pointe et augmentant l’intensité des épisodes de prix élevés.

Le nucléaire se caractérise par une structure de coûts fortement dominée par des coûts fixes (environ 90 %), comprenant principalement l'investissement initial, le personnel et la maintenance. La modulation de l’énergie produite conduit à amortir les mêmes coûts sur un volume plus faible. Une diminution de la production du parc de 30% pour modulation se traduirait donc par une hausse dans les mêmes proportions du coût moyen de production de l’électron nucléaire, ce qui impliquerait une hausse des prix de marchés ou de la fiscalité pour compenser.

En conclusion, les épisodes de prix hauts observés aujourd’hui devraient a minima se maintenir, que ce soit par une hausse de la demande, ou par une évolution de la disponibilité et du pricing de l’offre pilotable sur ces créneaux.

Les batteries : un outil indispensable pour contenir l’augmentation des spreads sur les marchés

Les batteries ont un double rôle sur le marché spot de l’électricité : augmenter la demande en période de prix bas et augmenter l’offre en période de prix haut. Leur développement devrait donc aider à lisser et réduire les prix de marché de l’électricité.

En pratique, les volumes de développement de BESS risquent d’être insuffisants pour annuler l’impact des évolutions décrites précédemment. Ces dernières années, ~200-300MW ont été mise en service chaque année, pour un parc d’environ 1 GW aujourd’hui. On estime le rythme de déploiement dans les années à venir d’environ 500MW à 1 GW par an. Les batteries participent cependant à plusieurs mécanismes de valorisation (pas seulement le marché day-ahead). Un impact du stockage d’environ 500 MW/an sur les prix de gros de l’électricité semble une hypothèse raisonnable.

L’impact des batteries sur la formation des prix de l’électricité peut être quantifié de façon illustrative en déplaçant les courbes d’offre et de demande, sous des hypothèses simplificatrices. Par exemple sur la journée du 16 avril 2025, le spread observé était de 110€/MWh (prix bas 10€/MWh à 15h, prix haut 120€/MWh à 20h, cf. courbe ci-dessous).

Le développement du PV (hypothèse +4 GW à 15h) et de la demande (hypothèse +1 GW toute la journée) aurait conduit, hors développement des batteries, à un spread de 142 €/MWh (prix bas 0, prix haut 142).

En intégrant 500 MW de batteries, le prix bas resterait à 0€/MWh mais le prix haut redescend un peu (~135€/MWh), soit un spread de 135€/MWh.

Conclusion

Le développement du stockage constitue une réponse essentielle à la hausse attendue de la volatilité des marchés électriques dans les années à venir. L'intégration croissante des énergies renouvelables dans le mix électrique, conjuguée à une augmentation même modérée de la consommation, devrait maintenir ou renforcer les écarts (spreads) importants observés actuellement sur les marchés de gros à l'horizon 2030.

Toutefois, même si les batteries joueront un rôle de plus en plus central dans la régulation du marché, elles ne suffiront probablement pas à elles seules à contenir cette volatilité accrue. Les projets de stockage constituent donc un investissement rentable et pertinent au long terme dans le but d’assurer la stabilité et l’efficience du système énergétique.

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